LA SAVEUR DES MOTS OUBLIÉS
LE POINT DE GRAMMAIRE DE KARINE
Dans le dictionnaire, c’est un peu comme chez les légumes
La richesse d’une langue vaut surtout par la profondeur de son banc de touche… Plutôt que de se limiter aux termes communs, rappelons donc sur le terrain quelques gloires passées !
Chaque année, l’entrée de nouveaux mots dans le dictionnaire en repousse d’autres, sans bruit, vers la sortie. Et pendant que lol, choupinet et bombasse font la une des JT et des cours de récré, d’autres comme s’ébaudir, zinzolin, croustiller et élégiaque, pourtant beaux à l’œil et à l’oreille, tombent iniquement dans l’oubli. Le Petit Robert, paraît-il, renferme 60 000 entrées (75 000 pour le Grand Robert) mais seuls 5 000 mots seraient utilisés par la plupart d’entre nous. À l’heure des textos qui déplument nos vocables, à l’imbuvable – et si peu nécessaire – anglais dont abusent les métiers de la communication, aux habits qui, plus que l’esprit, font assurément aujourd’hui le moine, l’envie nous prend d’afficher notre différence. Ensemble cessons de céder à la facilité, rebrassons nos manches et goûtons le monde savoureux des petits mots oubliés, perdus ou négligés. Commençons par le plus facile, l’insulte… Plutôt que de traiter l’imbécile de c****rd, faites preuve d’originalité et employez au choix ou en cascade gredin, faquin, rigri, pécore, poiloux, paltoquet, maroufle, croquant, belître, punais ! Sûr qu’il en restera coi, partroublé et éplapourdi. Atêtons-nous aux verbes à présent. On vous l’accorde, il semble logique que choir soit peu usité lorsque tomber est si facile à conjuguer. Pourtant, je suis chue, c’est chou, non ? Sans en faire l’apologie, occire n’a-t-il pas plus de panache que le banal tuer ? Je gagne à tous les coups, certes, mais je vaincs, n’est-ce pas plus glorieux ? Et mouvoir, ça remue, non ? Je meus, tu meus, il meut… elles meuglent – oups, je m’égare –, elles meuvent. Une fois conjugué, qu’il sent bon nos racines paysannes et la peau de vache ce verbe-là ! Pensez à balsamique pour évoquer un parfum, à aménité pour la douceur bienveillante, au charmant sémillant, à primesautier plutôt qu’à spontané, à affliction plutôt qu’à peine profonde, à odorer plutôt qu’à sentir. Sans ahan, vous pourrez désormais briller en société et même lantiponner en faisant parfaitement illusion. On dit merci qui ?
Petit lexique
Ahan : grand effort
Belître : homme de rien, sans valeur
Croquant : homme de rien, sans consistance, sans valeur
Croustiller : manger une nourriture légère
Elégiaque : mélancolique
Éplapourdi : étonné, stupéfait
Faquin : homme de rien, individu méprisable, faiseur d’embarras
Maroufle : terme de mépris qui se dit d’un homme grossier
Lantiponner : tenir des discours frivoles, inutiles et importuns
Paltoquet : homme grossier, sans mérite, prétentieux
Partroublé : excessivement troublé
Pécore : personne stupide
Poiloux : homme de néant, misérable
Punais : qui sent mauvais
Rebrasser : retrousser
Rigri : sot, vilain
S’atêter à : s’attaquer à
S’ébaudir : s’étonner grandement
Zinzolin : violet tirant sur le rouge
(Extraits de Turlupinades et Tricoteries, dictionnaire des mots obsolètes de la langue française. Éd. Larousse, 2004).